Où Chester Bennington était une chatte de 5 kilos – Partie 1

Ces 3 dernières années me laissent une goût bizarre.

Celui d’un monde qui hésite entre imploser (pour le pire ou le meilleur) et se rouler en boule sous sa couette, un pot de glace la main, attendant que le tumulte se fasse la malle.

Comme une tarte au pomme qui ne sait pas très bien si elle sera assortie d’un nappage savoureux, de fiente de pigeons, ou tout simplement changée en cendres (à mon humble avis, non sollicité me direz-vous, la crème fouettée reste la meilleure des options).

Nous sommes en plein dans ce qui semble être l’illustration de l’histoire de ma génération, l’histoire d’antagonismes incessants. La sensation que quoi que l’on fasse,nous serons toujours des funambubles faisant des pas de deux entre les réminiscences d’un monde sans internet, et celui où tous nos désirs les plus fous (de l’envie de se faire livrer un rideau de douche, au choix de la personne qui viendra peupler nos draps et/ou combler nos petits cœurs de loutres sensible) peuvent être assouvis en un clic.

Quand je pense à mes chers camarades milléniaux, je nous imagine sous l’apparence de bébés Orang-Outan coincés dans un chariot de course.

(L’exemple précédent n’était qu’une bonne excuse pour inclure ce GIF, ô combien merveilleux)

Des grands danseurs de claquettes sur l’énorme brasero qu’est le monde. Le chimichurri en moins et la gravité en plus.

Bien sûr, nous n’avons pas connu les guerres mondiales qui ont agité notre continent, les famines, ou la peste bubonique (il me semble vous avoir déjà partagé ma fascination mêlée de répulsion pour le mot « bubon ». Comment un terme aussi mignon peut-il désigner un truc aussi infâme ???).

Bien sûr, nous n’avons pas connu directement le désarrroi de la génération X, les débuts fracassants du sida, celui de la hausse du chômage, Tchernobyl et ses renards à six têtes.

Cela ne signifie pas d’avoir grandi dans la plus grande des naïvetés.

On savait déjà que nos rêves devraient souvent s’adapter au seuil d’une porte qui semble se rétrécir d’années en années. Qu’il allait falloir serrer un peu plus les dents et les poings, parce que nos aînés avaient déjà remisé l’idée d’une révolution où l’on chante du Bob Dylan au milieu des prairies. Que la génération qui nous suit n’en finit plus de se débattre entre le sauvetage de la planète et la schizophrénie des réseaux sociaux.

J’ai souvent en tête la citation favorite de mon grand-père, évoquée quelque part dans le dernier épisode de Transmission. Il l’utilisait souvent pour parler de son propre ressenti générationnel.

Je me suis rencontré entre deux siècles comme au confluent de deux fleuves; j’ai plongé dans leurs eaux troublées, m’éloignant à regret du vieux rivage où je suis né, nageant avec espérance vers une rive inconnue.

akA Châteaubriand, meilleur nageur de 100 mètres du 19ème à dos de livre

Je crois qu’à une adaptation près, nous n’en sommes pas si loin que çà. La différence étant que l’autre rive ressemble de plus en plus au monde qui se cache derrière le mur de Game of Thrones.

Pendant ce temps là, sur l’autre rive, le monde a l’air en joie.

Soit un truc qui ne ressemble pas à la merguez-party des Musclés (p.s : une option qui n’en est pas pour autant plus réjouissante).

Ne me remerciez pas, c´est gratuit et garanti 100 % culture milléniale



Parfois, je le déteste ce monde (et pas uniquement parce qu’il me condamne à rester avec un air des Musclés bloqué en tête).

Parce qu’il me renvoit à mon impuissance à le changer en un coup de baguette magique. Parce que je le trouve froid, égoïste, et calculateur. Parce qu’il me donne toutes les occasions de me retrouver empêtrée dans ses contradictions. À voir des orang outan en flamme derrière une cuillère de Nutella, sur fond de vidéos virales de petits chats qui dansent.

Parce qu’il me pousse plus souvent qu’avant à l’âpreté et au cynisme, à fermer les yeux très forts pour ne pas faire éclater ma bulle de légèreté sous le poids des nouvelles qui s’accumulent. Parce qu’il donne un peu plus l’envie de renoncer à ceux qui y sont déjà trop sensibles, ou à endurcir l’âme de ceux qui le sont moins.

Parce qu’il use jusqu’à la moelle l’espérance de ceux qui m’entourent, écharpe leurs attentes personnelles, professionnelles, et va jusqu’à en engloutir certains pour de bon.

Dans ces moments là, ce monde, il ne me donne pas envie de lui fouiller les tripes pour y dénicher ce qu’il peut bien garder en lui de fantastique.

Ce monde là ne me donne pas envie d’écrire.

Vous vous doutez bien que mon âme de trublione n’est pas naturellement encline à rester trop longtemps dans ce marasme existentiel, sinon ce blog n’aurait aucune raison d’être. Et si mes élans de renouveaux de 2020/2021 n’ont plus l’apparence de tsunami de la joie, ils n’en sont pas pour autant calmés.

Je l’aime profondément aussi ce monde.

Je l’aime pour ses garde-fous, ceux qui retiennent les vagues trop fortes et vous empêchent de vous raper allègrement la face sur les rochers. Pour ces multitudes de joies du quotidien, ses leçons, et sa créativité sans borne.

Quand il me fait rire aux éclats le temps d’une blague inappropriée ou sautiller comme une gamine devant une patate à la forme étrange. Quand il me donne l’opportunité de conversations importantes, sur l’art, la vie, les renard à six têtes, que l’on soit à Toronto, Dublin, Hainoi, Hong Kong ou Barcelone.

Quand il me laisse des images fortes. Comme celle de ces amis de plus d’une décennie qui se tiennent bien fort, au moment des funérailles de l’un des leurs, et qui parviennent à vivre sans regarder à chaque minute dans le vide. Celle d’enfants d’amis qui recréent des constellations de chocolat sur leur t-shirt, tout en parlant de dinosaures.

Quand je redécouvre le plaisirs des concerts en été, d’un livre qui retourne l’estomac de bonheur. D´un regard ou d’une conversation qui suffit pour se sentir le cœur et l’âme bien au chaud.

En 2021, je croyais avoir trouvé la tactique imparable pour avancer au milieu des flammes.

2022 m’a appris à le faire à cloche-pieds et les yeux bandés (telle un Kung Fu Panda des temps modernes).

Le plus important est que chacun dispose de ses propres béquilles existentielles. Pour chacun des chapitres de vie qui vont avec.

En 2001, la mienne a pris la forme de Linkin Park (chers amis gardiens du temple du rock, je vous prie de bien vous essuyer le derrière avec toute notion de ce qu’est le bon goût en la matière).

J’avais 16 ans, une gaucherie sociale souvent à la limite de l’acceptable, un goût prononcé pour les émos de ce monde et les animaux poilus (NDLR : ce qui s’avèrera une constante dans la vie de votre dévouée rédactrice).

Un jour, entre deux jingle du Mouv´, « In the End » a résonné.

Et pour le moi de l’époque, c´était quelque chose de simple, d’évident, qui incarnait un peu tout mon désarroi de ne pas être ce que j’imaginais, de ces nombreux moments où les râteaux amoureux sont une tragédie, la vie adulte à venir un puit sans fond de tortures.

Quelque chose qui formulait mieux mon incompréhension du monde que mes tentatives d’écriture de cette période (pour vous donner un aperçu, j’ai retrouvé un vieux carnet où j’avais noté cette prose fameuse : »Le monde est une tartine de nutella tombée du mauvais côté ». Pas de quoi en faire encore un hymne emo rock), ou que les tonnes de référence littéraire classique dont je m’abreuvais.

Le 20 juillet 2017, Chester Bennington, le chanteur de la formation se donnait la mort par pendaison.

Entre temps, j’étais devenue ce qui se se rapproche le plus d’un être adulte. Linkin Park faisait partie des choses qui appartenaient à un passé musical plus ou moins honteux (autant vous dire qu’assumer en public mon amour pour certains titres de l’album Meteora me coûte encore un peu).

Et pourtant.

Après m’avoir donné l’impression, le temps de quelques morceaux teintés de spleen adolescent, que l’on pouvait survivre aux nombreux bleus que vous laisse la vie, voici que l’un des héros de mon adolescence avait décidé de cocher la case « Exit ».

Ce jour là, je me souviens que mon moi adulte a commenté à ses collègues de travail : »Oui, bah, j’écoutais Linkin Park ado, hein, j’aimais bien. Revenons à notre fichier excel ». Le soir, elle a joué « In the end » bien fort, en fumant sa cigarette, les yeux un peu humides au-dessus de son thé (on ne se refait pas).

Mais c’était sans compter ce mois de grâce de décembre 2021, où Chester est revenu frapper à ma porte de la manière la plus inattendue qu’il soit.

(À suivre)

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